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Fabrizio La Torre

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L'ARTISTE

Fabrizio La Torre, (Rome, 11 janvier 1921 – Bruxelles, 27 août 2014). Photographe italien actif pendant environ 15 ans, dans les années 1950-60, il est issu d’une famille où chaque membre avait un don, (la peinture, la sculpture, l’écriture, etc.) mais où il n’était pas « de bon ton » de se dire artiste.

Lorsque le succès frappa lourdement à sa porte, lorsqu’on commença à lui proposer expos et publications, il s’empressa de cesser son art, de ranger ses archives pendant 40 ans dans des caisses en bois et de fuir cette renommée d’artiste qui allait lui tomber dessus. Le poids de la société, des convenances ; les obligations familiales…

Peu de temps après, il apprit que son grand-père Enrico Valenziani, un siècle plus tôt en 1860, avait été l’un des tous premiers photographes romains et que celui-ci, ne se revendiquant pas artiste non plus, avait compris dès ces années-là que la photo est un art qu’il faut savoir transmettre aux générations suivantes.

C’est ainsi qu’à la fin de sa vie, à partir de 2009, Fabrizio La Torre accepta que soient réouvertes ces caisses d’archives, que ses négatifs soient restaurés et qu’une première exposition lui soit consacrée. Ce fut en 2010, « Roma, la Vera Vita », au prestigieux Institut Culturel Italien de Paris. Rassuré par la qualité technique des tirages et par le chaleureux accueil du public, il soutint un travail de plus large restauration qui amena à la réalisation d’une Rétrospective en 2014. Celle-ci eut lieu à Monaco, avec l’aide du Prince Albert II, et à travers 300 photos permit aux visiteurs d’avoir un aperçu assez enthousiasmant de cette œuvre jusqu’alors presque inconnue.

Décédé quelques semaines seulement avant l’ouverture de cette Rétrospective, l’artiste avait eu le temps de communiquer à son exécuteur testamentaire et à son équipe technique ses indications précises et les informations et souvenirs permettant de situer dans le temps et dans l’espace les clichés de ce photographe-voyageur.

L’OEUVRE

Souvent considéré comme « le Robert Doisneau italien », Fabrizio La Torre s’inscrit très clairement dans le courant de la photographie humaniste apparue en force après la Seconde guerre mondiale. C’est le retour à la primauté et à l’universalité de la condition humaine : le jeu des enfants, le regard d’une mère, la séduction entre deux fiancés, mais aussi la gouaille d’une marchande de légumes ou le regard malin d’un vendeur à la sauvette. A Rome, New York, Bangkok, Tokyo ou chez les tribus Méo dans la jungle thaïlandaise proche de la Birmanie, ces scènes spontanées, simples et sincères, sont captées avec une infinie poésie et une complète bienveillance. Si l’ironie est là, elle est complice, elle ne griffe pas. Elle rapproche l’humain photographié de l’humain spectateur. Elle les fait frères.

Cette primauté des scènes de la vie courante a un prix : l’absence des paysages. Le cadre de vie, la ville, l’habitat, n’apparaissent que s’ils sont signifiants, comme si l’artiste voulait s’interdire de transcrire la beauté naturelle du monde. Cela tient sans doute à cette expérience vécue dans sa jeunesse qu’il raconte dans son livre « Le monde des années 1950 ».

« Mes parents m’avaient offert mon premier appareil photo, un boîtier en bakélite à objectif et focale fixes qui produisait d’étranges négatifs au demi-format de 18×24. C’est avec lui que j’ai pris mes premières photos. Je les ai fièrement montrées à mes parents, qui les ont trouvées très jolies. A ce moment-là, ma mère a ajouté : « on dirait des cartes postales ». Au ton de sa voix, j’ai su ce qu’elle, formidable artiste, pensait réellement de mes œuvres d’enfance… Et j’ai compris l’erreur à ne jamais commettre : vouloir seulement montrer le beau. »

A propos de ce « carte-postalisme », expression qu’il pensait avoir inventé, il ajoute : « une jeune amie, très littéraire, m’a récemment apporté cette citation de Cocteau parlant de Picasso : « Picasso m’a enseigné à courir plus vite que la beauté. Je m’explique. Celui qui court à la vitesse de la beauté ne fera que pléonasme et carte-postalisme. Celui qui court moins vite que la beauté ne fait qu’une œuvre médiocre. Celui qui court plus vite que la beauté, son œuvre semblera laide, mais il oblige la beauté à le rejoindre et alors, une fois rejointe, elle deviendra belle définitivement. »

Et il conclut : « pour la photo, j’avais compris une chose : il n’y a que l’introduction de l’élément humain qui protège de la carte postale. Voilà pourquoi mes paysages nus sont si rares. »

Privilégier l’humain, savoir capturer l’émotion à l’instant précis où elle s’exprime, oui, mais loin des schémas de pensée qui tentent de s’imposer à Rome dans ces années-là. 1950-60, de la Via Veneto à la Piazza di Spagna, du Colisée à Trastevere, Rome est devenue le décor naturel de cette « Dolce Vita » qui attire dans la capitale italienne toutes les stars et starlettes, les artistes les plus innovants, les valeurs sûres du cinéma mondial, et aussi les noceurs et bambocheurs séduits par cette ambiance de fête permanente. C’est tout ce petit monde que traquent les photographes présents à Rome, en donnant naissance au terme « Paparazzi ».

Ce n’est pas ainsi que La Torre veut témoigner de sa ville.

Fabrizio sent bien que le monde change à grande vitesse. Avant-guerre, durant ses années universitaires, il avait été l’assistant du photographe Oscar SAVIO, le « pape » de la photo d’architecture en Italie ; il avait appris l’art du monumental, du minéral, du majestueux. De l’immobile. Maintenant, dans chaque ruelle des quartiers populaires aussi bien qu’aux pieds des palais de la Renaissance du centre-ville, un grouillement nouveau apparaît, fait de Vespas zigzagantes, de triporteurs chargés à l’excès, de Fiat Topolino « camionnettes » ou « familiales », qui sonne le réveil de la capitale.

C’est cette lente mais inexorable mutation qu’il veut rendre par ses clichés. Il se fait promeneur discret, son Exakta sur le ventre. Un appareil lourd, compliqué, mais avec lequel il réussit des photos instantanées comme s’il travaillait avec un reflex et au moteur. Il se fait complice des scènes de rues, devine ce qui va se passer dans les secondes suivantes, anticipe son cadrage et shoote comme un sniper. Cela aussi fait partie de « sa patte » et l’examen de ses planches contact le confirme : conscient du coût de la photographie, il ne veut tirer qu’à bon escient. Quand il est certain du résultat. Et 50 ans plus tard, il se souviendra exactement de la date, du lieu et surtout du cadrage recherché. Pas question de raboter ici ou là, il sait ce qu’il a pris !

Il laisse une œuvre numériquement non comparable à celles des grands maîtres de la photographie de ces années-là qui, souvent, ont accumulé jusqu’à 150.000 clichés.

Très modestement, Fabrizio La Torre n’en revendique que quelques milliers. Mais avec cette étrange obligation qu’il s’est fixée de ne pas « gâcher la pellicule », chez lui les chefs d’œuvre se comptent par centaines. Ou peut-être plus. Car pour l’instant une grande partie de ses archives n’a pas encore été restaurée, tirée et présentée au public. Un énorme travail aujourd’hui effectué par ceux qui l’ont entouré et accompagné jusqu’à ses derniers jours.

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