Fabrizio La Torre est né en 1921, dans une de ces familles italiennes dont l’univers fut constamment baigné d’art. Qu’il soit aux murs ou au bout des doigts de certains parents, l’art était partout, même si personne n’eut jamais la prétention de se revendiquer « artiste ». Son grand-père, Enrico VALENZIANI, fut l’un des pères de la photographie italienne : il réalisa dans les années 1860 des clichés extraordinaires de la ville de Rome, des célébrations papales et des soldats de Napoléon III venus protéger le Pape contre les Garibaldiens. (Aujourd’hui, le fondo Valenziani est propriété de l’Etat italien et fait l’objet d’expositions régulières).
Il y eut aussi son père, Ferdinando La Torre, auteur de plusieurs ouvrages dont une étude sur le Pape Alexandre VI Borgia, sa mère, Maria Gabriella, céramiste, peintre, styliste de foulards pour Hermès, et sa sœur, Nicoletta, dont les œuvres en corail et coquillages trouvèrent le chemin des boutiques de Pierre Cardin, bref un environnement familial où avoir un don ou du talent ne justifiait aucun privilège particulier.
Voici certainement ce qui explique la bonhommie, la modestie, avec lesquelles Fabrizio La Torre considéra lui-même ses travaux photographiques : juste une envie personnelle de fixer sur pellicule des scènes, des mimiques, des ambiances, des atmosphères qu’il sentait sur le point de disparaître sous les coups de la « modernité». Juste un besoin viscéral d’être un « honnête témoin de son temps ».
Cinq grandes dates jalonnent la vie de Fabrizio La Torre. D’abord 1941, où, après une première année d’université, il rejoint l’académie navale de Livourne et devient élève-officier de Marine. C’est la guerre, c’est le premier éloignement du « cocon » familial, la première affirmation de sa vie d’adulte : il demande et obtient de l’Amirauté l’autorisation très exceptionnelle d’embarquer avec son appareil photo.
Viennent ensuite deux dates, décembre 1946 jusqu’en août 1948, le début et la fin d’un séjour en Amérique du Sud où, parti chercher un travail, si possible dans la marine marchande, il ne revient pas plus riche qu’avant mais les yeux remplis des merveilles que recèlent les terres lointaines. Trop désargenté pour donner libre cours à sa passion photographique, il se jure bien que jamais plus il n’ira si loin sans un bon appareil et les bobines qui vont avec.
Il lui faut attendre septembre 1955 pour que l’occasion d’un long voyage se représente : pendant plusieurs mois, il sillonne les USA et le Canada, de New-York à la Californie, des étendues neigeuses du Grand Nord aux rives du Saint Laurent. Et cette fois, l’appareil photo est bien là, captant les mille détails qui racontent ce «Nouveau Monde ».
Mais c’est enfin en août 1956 (jusqu’en mars 1961) que se produit cette « grande aventure » tant espérée: il décroche un emploi dans une entreprise italienne de travaux publics intervenant en Thaïlande. Presque cinq années à découvrir toute l’Asie, en un temps où le tourisme de masse et la vie à l’occidentale n’ont pas encore transformé ces pays. Il le dit lui-même, ce séjour le marquera profondément, lui apportant une sérénité, un équilibre, qu’il traduit rapidement en une étonnante acuité visuelle. Revenu à Rome, et marqué par cette empreinte asiatique, il saura saisir la vie quotidienne de ses contemporains avec une humanité et une tendresse remarquables.
En octobre 1964, il intègre un poste de direction dans une compagnie aérienne japonaise, – ce qui l’amènera à se rendre 32 fois dans ce pays…-, et y reste jusqu’à son départ à la retraite, en 1981. Ces responsabilités professionnelles, ces déplacements incessants, et aussi, admet-il, une certaine « timidité » devant la photographie en couleur, le poussent à réduire, puis presque abandonner, un travail photographique approfondi. Si l’appareil photo n’est jamais loin, c’est juste dans un rôle de bloc-notes, d’aide mémoire, que comme outil de création artistique.
En 2008, il accepte que ses archives photo soient rouvertes et étudiées, que certains négatifs soient restaurés, et que progressivement une première exposition, celle sur Rome des années 1950-1960, en soit tirée. En 2010 à Paris, l’Institut Italien de la Culture accueille cette première expo. Elle est suivie en 2011 de deux autres présentations, l’une à la FNAC de Bruxelles et l’autre dans le prestigieux Musée d’Ixelles (Bruxelles).
Installé depuis son départ à la retraite à Bordighera, sur la Riviera italienne près de Sanremo, Fabrizio La Torre avait ensuite fait de Bruxelles son domicile permanent, aux côtés de ses neveux, lorsque l’âge et la maladie l’obligèrent à abandonner son indépendance tant appréciée.
Il est décédé dans la capitale européenne aux derniers jours d’août 2014, travaillant jusqu’au bout à la réalisation du livre récemment paru et à la préparation de la Rétrospective monégasque. Il repose maintenant au cimetière du Cap d’Ail, dans le caveau de la famille La Torre de Stampa où il a rejoint ses parents et sa sœur.